Victor Ancalaf. "Les multinationales s’approprient le territoire mapuche"

Publié le par Nicolas

Condamné en 2002, au nom de la Loi antiterroriste, à 5 ans et un jour de prison ferme, Victor Ancalaf Llaupe, défenseur des droits du peuple Mapuche et membre de la communauté de Choin Lafkenche à Collipulli (Sud du Chili), a toujours clamé son innocence. On l’accusait - ce qu’il a toujours nié - d’avoir détruit par le feu cinq véhicules et une pelleteuse appartenant à l’entreprise ENDESA, une compagnie électrique espagnole qui s’est installée sur les terres de ce peuple autochtone. Interview d’un militant de passage en France et en Suisse.

Vous êtes engagé depuis des années dans une mobilisation pour la défense et la récupération des terres et des ressources naturelles des territoires mapuche, quelle est la situation pour les membres de votre communauté?

Depuis 1993, il existe une Loi indigène (loi 19.253) pour protéger nos droits, nos terres et notre culture. Cette reconnaissance a été obtenue du fait de la mobilisation des Mapuche et de leur pression sur le gouvernement. Mais ni celui-ci, ni la société ne respectent cette obligation. Les multinationales et les grandes entreprises chiliennes ne cessent de s’approprier notre territoire. Endesa a construit le barrage Ralco dans le haut Bio-Bio. Les entreprises forestières comme Mininco SA et minières se sont installées près du lac Lleu-Leu. Des entreprises norvégiennes font de l’industrie de pêche et saccagent la zone de l’Ile de Chiloe. Tout cela est permis par la politique mercantiliste et néo-libérale mise en place dans les années 80 par Pinochet et sa nouvelle Constitution. Le décret-loi 701 de 1974 a, par exemple, permis le développement des exploitations forestières (pour l’exploitation de l’eucalyptus et du pin). Celles-ci ont grandi et entre-temps menacent aussi bien notre territoire que nos ressources naturelles. Un groupe comme Antarchile d’Anacleto Angelini qui est devenu la plus grande entreprise forestière d’Amérique du Sud détruit notre environnement.
Avec les trente communautés (soit des groupes de familles implantés dans un même lieu, ndlr) de Colllipulli, nous essayons de récupérer nos terres.

N’assiste-t-on pas à une évolution depuis l’arrivée au pouvoir de la socialiste Michelle Bachelet?

Tout continue de façon similaire. Le gouvernement défend les multinationales au nom du développement du Chili. Du temps de Pinochet, elles touchaient jusqu’à 75% de subventions pour s’installer, aujourd’hui elles bénéficient de l’aide de l’Etat ou d’exonérations. De plus, la nouvelle Loi antiterroriste de 2000, appliquée exclusivement contre les luttes sociales et territoriales, permet de criminaliser nos actions, notamment celles pour récupérer nos terres. Nous demandons que cesse la violence d’Etat contre nos revendications, de même que les longues détentions préventives ou les procès avec témoins anonymes. Il faut aussi que cesse l’impunité des polices privées à la solde des multinationales comme SNpower.

Quelles sont les autres revendications des communautés mapuche?

Le peuple mapuche représente 10% de la population chilienne, soit près de 1,5 million de personnes. C’est une population méprisée, qui vit dans les quartiers les plus pauvres quand elle émigre à Santiago, et qui fait aussi les pires travaux. Certains Mapuche ne se mêlent donc pas de politique ou se réfugient dans la religion. D’autres se satisfont des programmes d’aide pour le peuple indigène (bourses d’étude, aide alimentaire) du gouvernement. Du fait de cette diversité, les revendications des communautés sont donc finalement multiples. Elles touchent aussi bien au respect de notre territoire, qu’à celui de notre langue, de notre organisation économique et de notre culture, des domaines qui sont concernés par Loi de 1993 et des droits qui doivent être respectés. Victimes de la colonisation, les Mapuche n’ont, par exemple, droit à aucune heure d’apprentissage dans les écoles de la langue mapudungun.

Face à l’immobilisme du gouvernement et aux campagnes de diffamation des grands médias chiliens, qu’attendez-vous de la communauté internationale? Qu’attendez-vous de la récente Déclaration des droits des peuples autochtones, adoptée en 2007 par l’ONU?

Si le texte affirme le droit à l’autodétermination de peuples autochtones, ainsi que divers droits sur leur territoire d’origine, cette déclaration reste avant tout symbolique. Nous voulons surtout que le Chili ratifie enfin dans son intégralité la Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail (OIT), mais l’essentiel est que le gouvernement apporte enfin des solutions politiques aux peuples originels du Chili, fasse respecter ses droits et sanctionne toutes les infractions contre ceux-ci.

Propos recueillis par JDr

Sources : http://bellaciao.org/fr/spip.php?article66945

Publié dans Entretiens

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